Hubert de Boisredon est le directeur d’Armor, Midcap Industriel (2000 salariés, 280 M € de CA), leader mondial des rubans transfert thermique pour la traçabilité des produits et emballages. Il a été élu stratège de l’année 2019 par Les Echos, dans la catégorie PME et ETI.
Quels sont pour vous les défis que doit relever le dirigeant d’entreprise :
Cette crise nous place face à deux défis. Le premier est un défi sanitaire, le deuxième consiste à assurer la continuité de notre activité. En effet, Armor fournit des produits indispensables pour l’activité de l’économie et pour le fonctionnement de la nation. L’entreprise fabrique des consommables d’impression pour les codes-barres à destination de l’alimentation, des produits pharmaceutiques et des produits de première nécessité. Si nous étions dans l’incapactité de fournir ces produits, toute la chaîne de production et de distribution serait affectée. Nous avons donc choisi de rester en activité.
Quand nous avons dû trancher sur la poursuite de l’activité, un débat s’est instauré. J’ai écouté tous les arguments jusqu’au bout. Pour beaucoup, la question se posait de savoir si la fidélité à sa famille et à la santé de tous ne demandait pas de fermer l’entreprise et de rester confiné chez soi. L’unité s’est faite autour de la décision de rester en activité au nom de l’intérêt général, celui de la société dans son ensemble. Nous nous percevons comme étant la deuxième ligne derrière ceux qui sont au front (le monde médical, l’alimentaire, les services publics…).
Quelles sont les qualités que le dirigent doit mobiliser pour faire face à cette crise?
Il s’agit pour le dirigeant d’assurer la sécurité des équipes tout en prenant soin du corps social de l’entreprise. La complexité réside dans le fait que des personnes n’ont pas d’autre choix que de venir à l’usine assurer la production et d’autres peuvent continuer leur activité en télétravail. Nous ne voulions pas qu’une distance s’installe entre les ouvriers qui sont au front, et les autres à la maison, en deuxième ligne. De ce fait, pour signifier l’unité de l’entreprise et manifester la solidarité avec ceux qui assurent la production à l’usine, certains d’entre nous (dont environ 30% des personnes des cadres du siège) avons choisi d’être présents au bureau même si nous n’y étions pas obligés. J’ai fait le choix d’être présent tous les jours au bureau. Les autres membres du comité de direction générale également. Je passe alors autant que je peux voir les salariés qui sont à leur poste pour les soutenir, leur dire que je suis avec eux, les remercier et les encourager. Et aussi soutenir les uns et les autres au téléphone. Cela me fait du bien également et me donne de la force d’être témoin de l’engagement des uns et des autres. J’expérimente donc que mon rôle dans la poursuite de l’activité demande avant toute chose une qualité de présence.
Nous appliquons, bien sûr, les règles sanitaires les plus élevées. Cette crise nécessite l’application rigoureuse de toutes les mesures sanitaires édictées et proposées par le gouvernement pour donner confiance aux salariés, montrant que l’entreprise met tout en œuvre pour éviter la contamination. Cela implique un strict respect des distances, des mesures d’hygiène à l’élimination de l’eau en bouteille dans l’usine et l’identification de tout ce qui pourrait assurer la propagation du virus. L’exemplarité est une qualité qui doit être particulièrement mise en œuvre à ce moment critique. A ce titre, je remercie les différents managers et acteurs de l’entreprise dans le domaine industriel et logistique pour leur vigilance constante et leur courage 24h / XNUMX. Et aussi un immense merci aux équipes commerciales, administratives et financières qui assurent la relation avec les clients, qui ont également besoin d’être rassurés sur notre capacité à leur fournir les stocks dont ils ont besoin.
En cette période, je perçois particulièrement l’importance pour moi d’assurer l’unité de l’entreprise, notamment au sein de l’équipe dirigeante, en veillant à vivre une relation de qualité avec chacun. Une crise comme celle que nous vivons peut mettre en lumière des divergences ou des divergences d’opinion qui peuvent briser cette unité. Nous avons essayé d’identifier ce que cela signifie pour nous d’être unis et responsables. Tout ce que nous avons construit ensemble au cours des dernières années en termes de qualité de notre relation est une base sur laquelle nous pouvons bâtir aujourd’hui.
Une attitude fondamentale de la part du leader consiste également, je crois, à transmettre la confiance.
Dans cette période très particulière, les chefs d’entreprise que nous sommes sont aussi ébranlés. Habituellement, je transmets une confiance en montrant notre force, en communiquant des résultats sur une entreprise en bonne santé. Aujourd’hui, il s’agit de transmettre une confiance d’un autre ordre parce que personne ne sait combien de temps cette crise va durer, dans quel état va être l’économie dans quelques mois, dans quel état va être l’entreprise au sortir de la crise. Je suis incapable de prévoir le CA du mois d’avril. Je dois alors transmettre une confiance beaucoup plus intérieure, une confiance dans le fait que la valeur de la vie de l’entreprise réside dans la qualité de nos relations entre nous plus que dans ce qui va advenir. Le pilier sur lequel nous pouvons nous appuyer est « l’être ensemble ». Le message principal que je m’efforce de délivrer aux salariés mais également aux investisseurs, aux fournisseurs, aux clients est le suivant : nous sommes ensemble, vous pouvez compter sur nous comme je sais que nous pouvons compter sur vous. Si nous vivons cela pleinement nous pouvons croire ensemble que le meilleur nous sera donné, même si nous ne savons pas aujourd’hui comment ce meilleur se concrétisera. Cela demande un certain lâcher prise.
Cette crise constitue pour moi une invitation à revenir à la source de mon engagement premier qui est de désirer ardemment construire un monde plus humain, plus harmonieux, plus écologique et plus juste. Le sens de ma vie est celui-là.
Cette crise préfigure la possibilité d’une transformation profonde de notre monde : valorisation de certains métiers, dont les métiers de production, et la confirmation de la priorité à donner à l’engagement écologique. Quand on voit que l’on est capable de mettre des milliers de milliards pour lutter contre un virus, pourquoi ne peut-on pas investir des sommes similaires pour lutter contre ce qui peut faire disparaitre l’humanité tout entière et notamment le réchauffement climatique.
Quels sont les conseils que vous souhaitez partager avec les autres dirigeants ?
D’abord ne restez pas seuls en tant que dirigeants. Nous sommes tous confrontés aux mêmes difficultés, aux mêmes questions, à la même impuissance parfois devant l’avenir. Partagez avec vos pairs pour ne pas rester isolé.
De façon très pratique, saisissez toutes les mesures qui vous sont offertes, dont les crédits proposés par les banques avec la garantie de la BPI. Il va falloir tenir, cela va être dur. Nous devons admettre que cette crise va être longue et difficile.
Faites tout votre possible pour respecter vos clients et fournisseurs, engagez-vous à régler les factures en temps et en heure car nous sommes indirectement responsables de la chaine et nous avons une vraie responsabilité sociétale. Nous sommes responsables de la survie de l’autre.
Soyez présent sur le terrain auprès de votre personnel qui a besoin de vous encore plus que d’habitude. Cette crise est l’occasion de manifester un vivre ensemble dans la société, mais aussi au sein des entreprises.PartagerFacebookTwitterLien vers la sourcehttps://www.linkedin.com/pulse/manager-dans-la-crise-avec-hubert-de-boisredon-a…
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